mercredi, février 02, 2011

Philippe Bordeyne, Ethique du mariage


Autour d’une lecture

Compte rendu à la suite de la lecture d’Ethique du Mariage (1) et d'un entretien avec l’auteur.

Ce qui surprend, c’est qu’en dépit du titre de l’ouvrage et de la personnalité de l’auteur, théologien moraliste et doyen du Theologicum, le livre est tout en nuances, j’oserais dire tout en tendresse sur la situation de l’homme dans son rapport avec le mariage. Il faut dire que le P. Bordeyne est aussi délégué diocésain pour la préparation au mariage de Nanterre, ce qui l’oblige probablement à conjuguer morale et pratique pastorale. Lors de la présentation du livre à l’ICP, il a rendu hommage à ceux qui l’ont aidé dans ce sens. Ce qui compte pour lui, c’est probablement de faire état des tensions intérieures qui traversent l’histoire du mariage, son rapport avec le temps et la société, d’en dénoncer les failles et de présenter des ouvertures.
Le mariage a, pour lui, le risque d’être idéalisé, d’être le lieu de toutes les attentes, alors qu’il y a, en son sein, des ombres et des lumières. La sexualité n’échappe pas à cette tension. Lieu d’attente, érigée souvent en idole, elle peut aussi être lieu de violences et de non-dit.
L’ouvrage est structuré en six chapitres. L’auteur traverse d’abord toutes les disciplines qui touchent au mariage, depuis la théologie morale de X. Thévenot, le personnalisme porté encore aujourd’hui par X. Lacroix jusqu’à l’histoire du sacrement, l’ouverture donnée par Vatican II, la psychologie, la biologie des passions. On croise dans ces pages P. Ricœur, J. Lemaire ou B. Cyrulnik. Dans une deuxième partie, P. Bordeyne nous conduit à travers les ressources qui s’offrent aux acteurs de la pastorale. Le chapitre trois présente une analyse du potentiel éthique de la liturgie et le chapitre 4 une traversée de l’Ecriture sainte. Les deux suivants étudient les avancées de la théologie moderne, notamment américaine.
Comme il me l’a confié, c’est probablement pour les animateurs, au chapitre trois, qu’il faudrait commencer la lecture. Le texte y est plus accessible. On y trouve une analyse innovante du rapport entre l’homme et la liturgie, lieu particulier de rencontre avec Dieu. A partir d’une lecture comparée l’ancien et le nouveau rituel, l’auteur cherche à identifier des ponts entre certains symboles liturgiques et ce qui joue dans l’engagement d’un homme et d’une femme. Interrogé sur ce point, P. Bordeyne précise le double rôle de la liturgie : un soutien et un regard critique sur notre vie. Il précise par des interrogations ; Qu’est-ce par exemple que franchir la porte de l'Église, comment cela rejoint notre situation de baptisé ? Ne devrait-on pas laisser une place plus importante aux parents, lors du baptême, qui vivent là une rupture entre leur situation de couple et parents ? Qu’est-ce pour des parents que de donner un nom à son enfant le jour de son baptême ? Que signifie le geste du prêtre dans la bénédiction nuptiale ? Il faut peut-être faire nôtres ces questions pour en témoigner dans nos sessions. Ces pistes rejoignent le nouvel accent mis sur la liturgie dans les dernières orientations du Texte national d’orientation pour la Catéchèse et notamment la thèse de Roland Lacroix (2) qui suggère que nous trouvions, à l’image de ce qui se fait en catéchuménat, des étapes et des symboles qui permettent aux fiancés de marquer leur avancée vers le mariage. Il y a probablement là des choses à inventer. Peut-on, comme nous l’avions tenté à Paris (3), faire vivre aux fiancés une première expérience liturgique, en les invitant à écouter dans une église, des textes et des chants qu’ils pourront ensuite choisir pour leur célébration ? Est-ce un moyen de les réinviter à franchir la porte de l'Église, à percevoir le sens d’une démarche communautaire ?
Un deuxième accent majeur du livre, déjà souligné dans le sous-titre : « La vocation sociale de l’amour », est de nous sensibiliser à la responsabilité du couple dans le monde. Déjà, comme me le rappelait P. Bordeyne, Vatican II souligne l’importance de la dimension sociale du couple : « Dieu n’a pas créé l’homme solitaire : dès l’origine il les créa homme et femme (...) expression première de la communion des personnes. L’homme, de par sa nature profonde est un être social… » (4). En cela il ouvre, pour nous animateurs, des pistes pastorales intéressantes, souvent peu visitées : En quoi le couple, dans son choix d’un mariage-institution a un rôle fondateur, structurant dans la société ? N’insiste-on nous pas trop sur l’accueil d’une démarche individuelle en oubliant d’éveiller à l’enjeu institutionnel de l’alliance d’un homme et d’une femme, unis pour signifier l’amour mais aussi agir ensemble au sein du corps social ? Sur ce thème, une des clés de lecture les plus innovantes dans cet essai est celle apportée par l’étude du Bon Samaritain (chap. IV), où les ressources de l’exégèse, mêlées à une approche éthique, donnent un cocktail intéressant pour relire et discerner l’engagement du couple dans le ministère de la compassion, de l’aide aux blessés de la vie. En cela le livre nous conduit à nous pencher sur toutes les misères humaines et conduit le lecteur à prendre conscience que l’enjeu du mariage n’est pas individuel mais universel. L’auteur étudie également les constituants de l’engagement à l’aune de la morale. Ses pages sur la fidélité et l’indissolubilité nous interpelleront jusque dans notre façon de vivre à deux ces fondements de l’union conjugale…
Sa conclusion va plus loin encore, jusqu’à interroger sur le sort réservé aux célibataires involontaires, aux divorcés et à ceux laissés sur le côté du chemin.
Personnellement, j’y ai retrouvé une résonnance (p. 218) avec mes recherches sur la danse trinitaire (cf. AR n° 251). La lecture de ce livre ne laisse pas en tout cas indifférent. Sa densité est surprenante voire étourdissante. L’ampleur des références (plus de 250 auteurs cités sur 267 pages) nous ouvrent à d’importantes pistes de recherche que P. Bordeyne reconnaît devoir encore creuser. On peut regretter par contre le style et le vocabulaire universitaire des premiers chapitres. C’est la seule faille de ce livre à travailler et méditer…


Claude Hériard, formateur CPM (et petit étudiant au Theologicum)…

(1) Philippe Bordeyne, Ethique du mariage, la vocation sociale du mariage, collection Théologie à l’université, DDB, Paris, 2010
(2) in Des itinéraires de type catéchuménal vers les sacrements, Service National de la catéchèse et du Catéchuménat. Bayard, Sous la direction de Jean-Claude Reichert, Préface de Mgr Robert Le Gall.
(3) Le texte de cette « soirée texte » est en ligne dans l’ancienne zone privée du site PMC. Il est utilisé utilisé par d’autres équipes en France.
(4) cf. Gaudium & Spes, 12,4 cité p. 97

PS : Un extrait de cet article est paru dans la revue Projet

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